Saison 2016-2017 à l’ONP: Avis complet d’un spectateur perplexe

Par Victor 

Vous me pardonnerez cet accès de vulgarité, mais ce serait vous mentir que de vous cacher que ma première réaction à la découverte de la prochaine saison du Ballet de l’Opéra de Paris fût un : « Oh putaaaaaiiiiinnnnn » empli de lassitude et teinté de déception.

Il faut dire que j’étais sous le coup de la surprise. Trois jours avant l’annonce officielle, le programme complet fuite et se retrouve sur Twitter. Au milieu d’un cours de droit fiscal, vous avouerez que la nouvelle a de quoi prendre de court.

Lassitude donc, déception également, agacement aussi. Je me suis, très naïvement, laissé bercer par les promesses de Benjamin Millepied, notamment dans la fameuse interview du Figaro en décembre dernier qui a fait depuis couler beaucoup d’encre. On mettra du classique, promis juré. L’arrivée prochaine d’Aurélie Dupont (qui, rappelons-le, assumera cette saison) me poussait également à penser que nous aurions peut-être droit à un regain de répertoire français, de ces pièces qui font la spécificité du ballet de l’Opéra de Paris.

Et ben non. Nous voici avec une saison plus Stars&Stripes que jamais. C’est simple, notre directeur à la culture américaine novatrice et ambitieuse dont certains chantent les louanges aveuglément et sans discontinuer depuis une bonne semaine innove tellement qu’il applique la même recette que pour 2015-2016. La coloration anglo-saxonne de 2015-2016 était compréhensible: Benjamin Millepied restait logiquement dans sa zone de confort, en proposant des chorégraphes qui lui sont chers et qu’il connaît bien. Pourquoi pas, après tout, ça fait voir du pays. Mais deux ans de suite ??!! Enough is enough, comme dirait l’autre…

Ce qui frappe dans cette saison, c’est la quantité de ces ballets de pure représentation. On les appellera ballets de gala, ballets à bills, ballets de divertissement, ballets en académiques lycra…mon préféré étant tout de même le terme de « ballets à fond bleu ». J’en ai RAS-LE-BOL de ce fond bleu !!! D’accord, il n’est pas présent dans toutes les mises en scène, mais vous voyez l’idée. Entre les reprises de Balanchine, celle de Robbins, et les créations qui nous attendent, on risque de le revoir, ou de voir des ballets dans la même veine : sans narration, des choses qui peuvent se réduire à de jolis divertissements, mais dont le spectateur sort rarement en criant au génie ou les yeux remplis d’étoiles. Le genre de soirées d’où l’on sort sans déception, mais sans avoir touché au sublime. C’est tout.

Là-dedans, les chorégraphes anglo-saxons des XXe et XXIe siècles sont sur-représentés : Balanchine donc, mais aussi Peck, Tudor, Cunningham, et bien entendu Forsythe (en tant que chorégraphe résident) et Benjamin Millepied himself (le contraire aurait étonné…). Tout cela nous fera donc une masse de soirées mixtes (six sur seize), qui seront probablement inégales, et qui honnêtement peinent à réveiller chez moi l’enthousiasme.

Cela permet cependant de proposer beaucoup de créations (dont une de Benjamin Millepied sur la musique de Barbara…si, si), et d’entrées au répertoire. C’est bien sûr une bonne chose. Mais cela est fait au détriment de l’équilibre général de la saison, qui est résolument anglo-saxonne, néo-classique, et, disons… « conceptuelle ». En mettre un peu est nécessaire. Mais là, c’est juste trop.

Quelques ballets éveillent tout de même mon intérêt. Les compagnies invitées tout d’abord, font envie : Le Semperoper Ballet Desden reprendra du Forsythe, qui sera à mon goût trop présent cette saison (même si j’aime beaucoup Forsythe), mais j’ai très envie de voir cette compagnie et cette pièce. La Belle au Bois Dormant d’Alexeï Ratmansky par l’American Ballet Theatre en septembre sera l’événement à ne pas manquer en septembre. Le Songe d’une Nuit d’Eté par Balanchine m’attire également. On a tellement parlé de Trees of Codes de Wayne McGregor que j’ai maintenant envie de juger sur pièce. Hâte de voir également le travail fourni par les danseurs de l’Académie Chorégraphique, ne serait-ce que pour la découverte de talents (même si Samuel Murez n’en est pas). Mais pour ces trois derniers, je ne suis pas encore convaincu. Juste curieux. Ne comptez donc pas pour autant sur moi pour jouer le supporter.

Enfin Le Lac des Cygnes et La Sylphide seront des incontournables, et là je suis pleinement, totalement enthousiaste. Deux pauvres ballets classiques perdus dans cette débauche de nouveauté, des succès de l’Opéra de Paris, il serait criminel de les louper. « On » l’a d’ailleurs bien compris puisqu’ils ne sont pas dans les abonnements jeunes et que les tarifs ont été relevés pour eux. Dommage cependant que le Lac ait été déjà donné en 2015. Enfin le programme de l’Ecole de Danse me semble intéressant : un Balanchine et un Forsythe, oui, mais surtout le troisième acte de Raymonda. N’en dites pas plus, je viens. Réjouissons-nous enfin de la possibilité ouverte à tous de voir le Défilé du Ballet. Champagne ! 

Notons enfin qu’en conférence de presse, Stéphane Lissner a indiqué que Aurélie Dupont ne modifiera pas la saison. La saison ultra-classique de 2014-2015 faisait figure de cadeau empoisonné de Brigitte Lefèvre à Benjamin Millepied, il semble que ce dernier refait le coup à notre Etoile. Benjamin Millepied a également insisté sur le fait qu‘il choisirait les maîtres de ballet pour les Balanchine et resterait présent, ne serait-ce que pour ses créations. Cela semble juste…irréel. Il démissionne, mais il reste là. Aurélie Dupont devra « l’avoir dans les pattes ». C’est absolument anormal, et je ne comprends pas comment une telle situation, totalement ubuesque, pourra être acceptée, tant par les danseurs que, in fine, par Aurélie Dupont, qui commencera son mandat dans des conditions que peu accepterait. Enfin, je ne suis pas à l’abri de ne pas avoir compris. Attendons de voir ce que tout cela donnera en pratique

Vous m’aurez saisi, je trouve l’ensemble extrêmement inégal, déséquilibré, plus américain que jamais, et redondant par rapport à la saison 2015-2016 (d’autant que certaines pièces sont purement et simplement reprises d’une saison à l’autre). L’Opéra doit certes être un moteur de création, de nouveauté, et attirer de nouveaux publics. Mais derrière cette justification louable, on nous sert un programme élitiste, répétitif, saturé de soirées mixtes. L’Opéra de Paris doit aussi être la maison des grands chorégraphes français des XXe et XXIe. Être l’ambassadeur de l’exception culturelle française, de son raffinement et de son excellence. Pas le copieur qui reprend ce qui se fait partout, dans un souci de modernisme suranné et ridicule. L’Opéra nous attend, paraît-il ? Je l’attend au tournant. Il faudra me convaincre. Bon courage.

12 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Voilà! c’est dit! je souscris à tout!

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  2. vous allez finir par être aussi caustique que moi !! nous voila dans la même galère tant mon désarroi égale votre humeur dubitative et le contenu de nos analyses semblent se faire écho

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    1. ildanse dit :

      Nous trouverons bien des sujets moins consensuels pour nous disputer ! Et oui, moi aussi de temps en temps la causticité m’amuse 🙂

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  3. Ceylina dit :

    Je suis absolument d’accord avec vous !! Il y a bien trop de multiples bills pour en faire une saison vraiment interessante… Même quand ils sont bien interprétés, le fond bleu leur donnera toujours un aspect clinique…

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  4. Léa dit :

    C’est clair, c’est net, pour ma part j’aurais remplacé « perplexe » par « très déçue »; mais pour le reste 100% d’accord. Vivement l’en prochain… (enfin j’espère).

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  5. Sylfh dit :

    Perplexe, mais intéressé malgré tout : vous avez tout de même prévu de voir au moins 7 programmes… Si tout le monde est perplexe, l’Opéra ne s’en portera que mieux, et la saison sera donc « validée ».

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    1. ildanse dit :

      En soi, la plupart des programmes pris individuellement sont bons à voir, c’est leur rassemblement au sein d’une même saison qui me laisse perplexe. Remarquez aussi que dans ce chiffre, deux soirées sont assurées par des compagnies invitées. Enfin je reste, quoi qu’il en soit, un spectateur de danse: bien que perplexe, j’ai envie d’aller au ballet, et de prendre le risque de me laisser surprendre 😉

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  6. BA dit :

    Bon, je suis a 80 % d´accord avec vous. J´adore le bleu donc ce fond ne me gêne pas tellement a la limite je préfère pas de décors qu´un décors tarte qui me distrait de la danse (je comprends très bien ce que vous voulez dire !) En soi j´aime bien les soirées mixtes, mais je trouve aussi qu´il y en a trop.
    Comme j´habite a 800km a l´est de Paris je ne vois que 2 ou 3 spectacles par saison, encore faut-il qu´un soit un vendredi l´autre un samedi ! J´aisserai de voir Balanchine en novembre, le songe d´une nuit d´ été et éventuellemnt La Sylphide
    Je ne crois pas qu´il y ai de coup fourré envers Aurélie Dupont car la saison était certainement 100% bouclée avant que BM ai décidé d´abdiquer. En ce qui concerne les maîtres de ballet il peut bien les choisir, quand ils répèteront BM ne fera plus partie de la direction donc je ne vois pas trop ce qu´il aurait a dire ! Je suppose que les distributions seront faites par AD.
    J´aisserai de voir Balanchine en novembre, le songe d´une nuit été et éventuellement La Sylphide.
    BM écrit dans sur la page de OdP un édito « de l´intérieur » : « …que l ´on peut attendre de l´une des plus grandes institutions de la danse du monde ». Cela me paraît en contradiction avec ce qu´il a dit dans son fameux documentaire. Cela me gêne beaucoup. En voyant toutes ses créations, ce n´ai pas étonnant qu´il
    n´ait pas le temps de diriger l´opéra….

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    1. jmj dit :

      Il n’y a pas de contradiction: l’ONP est bien l’un des plus grands du monde au sens de l’institution (historique, budget, effectif…). On peut critiquer par ailleurs le niveau des danseurs, a fortiori en regard de l’institution.

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  7. AnneSo dit :

    Je suis pour ma part à 100% d’accord avec vous, et comme j’habite de mon coté à 700 bornes au Sud, je ne pense pas faire le déplacement l’an prochain, tout comme cette année d’ailleurs, sauf peut être pour Songes d’une nuit d’été. (M. Millepied, une lettre pleine de gratitude de la part de mon banquier devrait vous parvenir très prochainement !). Je me contenterai de nos petites compagnies provinciales, talentueuses, bien plus audacieuses et dont les tarifs défient toutes concurrences !

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