La Sylphide (version Pierre Lacotte)

Laissez-vous transporter vers les lochs d’Ecosse, ses forêts impénétrables et ses messieurs en kilts : vous vous apprêtez à pénétrer le royaume de la Sylphide. Le ballet, créé en 1832 à l’Opéra de Paris, est l’un des plus anciens du répertoire. Précurseur de Giselle qu’il côtoie au hit-parade des ballets romantiques, le ballet est aussi connu pour avoir, sinon créé, du moins imposé l’usage de la pointe pour les danseuses, avec la créatrice du rôle, Marie Taglioni. Recréée par le danseur et chorégraphe Pierre Lacotte grâce à un important travail de recherche sur archives, la version proposée à l’Opéra de Paris se veut la plus proche de la création d’origine et du style qui la caractérise. Mais chut, le rideau se lève…

L’histoire

Acte I

…Et il se lève à l’intérieur d’une demeure écossaise. James dort sur un fauteuil, mais son sommeil est agité. La Sylphide, être immatériel et onirique, léger comme l’air qu’elle bat des deux petites ailes dont elle est dotée, vient hanter le sommeil de ce jeune mortel qui porte si bien le kilt et qu’elle finit par réveiller. Ce n’est que pour mieux l’entreprendre: elle le drague, littéralement (à base de « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis »), et le pauvre gars ne sait pas trop quoi faire: c’est qu’il est fiancé à Effie. Alors que la Sylphide s’échappe, voilà justement ladite Effie et sa bande de BFF. C’est la fête à la maison, quand James aperçoit une vieille femme qui squatte chez lui pour profiter de la cheminée. Il tente de la dégager, mais voilà que les copines de sa fiancée se font lire l’avenir par la clocharde. Effie se laisse tenter (un peu de voyance gratuite, ça se refuse pas): la sorcière lui apprend alors que jamais elle n’épousera James, mais plutôt le meilleur ami de ce dernier. Furieux, James vire la sorcière de chez lui. Mais la Sylphide réapparaît, et vole sa bague de fiançailles : il la poursuit et s’enfuit, laissant derrière lui une Effie éplorée.

Acte II

Madge, la vieille sorcière, est furieuse. James a eu tort de lui chier dans les bottes. Elle va apprendre la vie à ce petit merdeux, et entourée de ses gnomes, elle sort de son chaudron une jolie écharpe empoisonnée qu’elle confie à James en lui disant qu’avec, il parviendra à capturer la Sylphide et à la rendre humaine pour pouvoir l’épouser. Ha ha, le con.

Ensuite on part en plein trips romantique, de ce romantisme XIXe qui fantasmait sur les mythologies nordiques et sur la Nature. Mais vous allez voir, c’est charmant : les sylphides volent (littéralement) dans les airs, il y a une jolie forêt et la Sylphide (la principale) glisse sur les brumes avec raffinement et évanescence. Elle montre sa petite forêt au James, qui est tout content, saute de partout comme un gosse à Disneyland, et en gros tout ce petit monde passe une chouette après midi, ponctuée de pas de deux, des danses des Sylphides et des sauts de cabris de James. Qui finit par montrer sa jolie écharpe à la Sylphide, qui n’a plus qu’une idée en tête: l’avoir pour elle. Ha ah, la conne. A peine lui a-t-il ceint la taille du mortel tissu qu’elle perd ses ailes et, par voie de conséquence, meurt. Elle est emportée au paradis des Sylphides par ses compagnes, pendant que James en pleurs voit passer au loin Effie, son ex-fiancée, qui vient de se marier avec son ex-meilleure pote. 

Au-delà de l’histoire…

Alors, comme souvent dans les ballets, l’argument lu au premier degré vaut ce qu’il vaut. Allons un petit peu plus loin, voulez-vous ? Dans cette Sylphide, se cache un shot de romantisme pur: amour impossible, monde des esprits, idéalisation de la femme inaccessible…on peut même trouver une lecture écologique, avec l’idée que la Sylphide est l’incarnation de la nature, attirante et fragile à la fois…

Plus que l’argument peut-être, l’intérêt de ce ballet réside pour moi dans son esthétique. Pure, restituée dans la tradition de l’Ecole française, la chorégraphie nous fait faire un voyage au XIXe siècle, avec ses pas et postures très caractéristiques. Tout n’est que retenue, modération, élégance. L’arabesque est multi-présente, et elle partage la vedette avec la petite batterie, ces sauts rapides durant lesquels les danseurs changent plusieurs fois la position de leurs pieds avant d’atterrir. L’acte I donne également lieu à quelques scènes d’ensemble inspirées des danses traditionnelles écossaises, gigue en tête.

Enfin vous prêterez attention à la finesse de la technique de pointe, et à la manière dont s’en sert la danseuse pour sembler si immatérielle et légère.

Les moments-forts à retenir sont la petite scène de drague du premier acte, le pas de trois entre James, la Sylphide et Effie, le pas de deux des écossais (divertissement du premier acte qui ne fait pas avancer l’histoire pour un rond, mais qui n’est pas désagréable), l’adage de l’acte II, et toutes les variations (aka: les solis) des protagonistes principaux.

Vademecum du spectateur : le ballet n’est pas très long, la durée des actes est équilibrée avec entracte au milieu, vous pouvez aller dîner après sans problème. Comme dans tout ballet classique les applaudissements entre les danses sont autorisés et nombreux, n’hésitez pas à crier votre enthousiasme face aux prouesses techniques auxquelles vous venez d’assister, ya pas de soucis. 

Allez, il est temps d’aller en Ecosse. 

5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Fantasio dit :

    James est con et la sylphide est une conne, bien dommage de parler des personnages de ballet comme ce ci. Je dirais plustot que l’amour rend aveugle mais le romantisme vous échappe.

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    1. ildanse dit :

      Si mon romantisme s’est échappé, qu’est devenu votre second degré ? Avouez qu’à leurs seules lectures, les livrets de ballets classiques sont souvent d’une platitude insolente…et je sans les renier, je m’en amuse. Car une fois ce côté « nu-nuche » assumé, c’est à des degrés de lecture un peu plus poussés qu’il faut passer, comme j’y invite dans ce billet. Enfin, j’assume totalement l’aspect vulgarisant à souhait de cet article, écrit avec à l’esprit mes 5 amis néophytes complets, qui iront pour certains voir leur premier ballet. J’aurais été déçu qu’ils s’arrêtent à une histoire franchement raz-les-pâquerettes au premier abord, pour occulter ce qu’il y a de vraiment romantique dans l’oeuvre: sa danse, son esprit, le voyage onirique auquel le spectateur est invité, plus qu’une histoire gentiment gentillette.

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  2. Choï dit :

    Ma voisine de baignoire lundi soir n’a pas applaudi une seule fois, très étrange. Belle jeune fille longiligne et parfaitement immobile, un sourire de Joconde sur les lèvres. Une Sylphide ? Pour ce qui se passait sur scène, Myriam Ould Braham est sublime, avec des bras qu’on dirait liquides, de petits pieds précieux ( alerte grincements colophane, ça cassait un peu la magie) ravissante ! Mathias impeccable, sans fougue mais désespéré à la fin. Magnifique pas de trois avec Melanie Hurel, superbe. Et mon tabeau préféré : le sabat des sorcières, décidément j’adore Aurelien Houette, qu’il soit complètement chauve ou plein de cheveux…..
    Et très contente de vous avoir rencontré sur les marches avec notre présidente. ….

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  3. Léa dit :

    Pour ma part j’ai trouvé au contraire qu’on pouvait interpréter l’argument d’une manière fort intelligente et « instructive », ce qui est assez rare dans les ballets, mais courant dans les contes, et ici on a affaire à un conte. Un jeune homme, en passe de prendre un engagement important dans sa vie, s’évade dans le fantasme, rêve de la femme idéale, qui n’est évidemment pas celle qu’il va épouser. Puis pris dans la toute puissance de sa jeunesse, il ose croire qu’il est possible de posséder ce fantasme, au mépris du réel. Evidemment le fantasme disparaît, il meurt, car telle est sa nature. Mais pendant que notre héros préférait le rêve à la réalité, la réalité, elle, avançait sans lui, et d’autres, plus adultes, touchaient à un bonheur réel, imparfait mais réel, tandis que le romantique héros ne pouvait que constater la perte totale de ses deux amours. C’est une belle histoire comme en est pleine la littérature romantique, c’est aussi un conte initiatique qui nous interroge sur le réel, l’évasion… Qui nous parle aussi du passage à l’âge adulte. Bref, une profondeur que l’on retrouve dans peu de ballets. L’interprétation de Hugo Marchand, à laquelle j’ai assisté, et qui domine la distribution, m’a totalement plongée dans cette interprétation.

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    1. ildanse dit :

      Merci pour votre joli commentaire qui prouve bien que, au-delà du premier degré du conte (ici présenté à dessein avec un brin de trivialité), on peut aller plus loin dans les niveaux de lecture 😉

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