Le debrief de la Soirée Millepied/Robbins/Balanchine – 30 septembre et 1er octobre

Ce mercredi 30 septembre, c’est avec joie et délectation que je me suis dirigé d’un bon pas vers le Palais Garnier. Enfin, après les affres de la danse contemporaine premier prix, j’allais retrouver mes chéris d’entre tous : la compagnie de l’Opéra de Paris. J’étais tellement ravi que j’avais même acheté une place pour le lendemain. Je ne boude pas mon plaisir : j’ai globalement passé deux bonnes soirées. Mais avec des hauts et des bas…pour ces trois ballets composant le spectacle, je vous fait un debrief en trois parties.

Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied

ALORS. On en a parlé de celui-là. En parlerons-nous encore dans 15 ans ? Rien n’est moins sûr. Le rideau s’ouvre sur une mise en scène originale : des lampadaires se balancent au plafond, les danseurs ne quittent presque jamais la scène, s’asseyant sur un banc entre leurs passages (c’est assez intéressant, on a l’impression de voir une coulisse ouverte). Les costumes ne sont finalement pas si désagréables, le jeu d’ombre sur le fond de la scène est bien pensé. Passées ces premières surprises promptes à éveiller l’intérêt…on attend. Les trouvailles s’enchaînent, mais rien ne me transporte, d’autant que les ensembles ou les pas de deux sont très courts. Jusqu’au « grand » pas de deux prévus par Benjamin Millepied pour Léonore Baulac et Hugo Marchand. Au milieu de collègues qui semblent chercher un peu comment interpréter tout ça, ils proposent une parenthèse belle et bien interprétée, d’autant que ce pas de deux est, vous me permettrez l’expression, un joli casse-gueule. Il faut encore souligner le beau moment que nous offre Marion Barbeau, très sexy girl entourée de ses boys, techniquement très propre, attirant vraiment les regards : une belle découverte de ma part que cette danseuse.

L’ensemble rend une impression étrange, on ne sait pas trop qui sont ces gens qu’interprètent les danseurs ni ce qu’ils font là. Il me vient à l’esprit des insectes enfermés dans une boîte (bon, des insectes drôlement évolués quand même…). Peut-être est-ce la musique, qui me fait vaguement penser à celle du film Microcosmos à certains endroits. Surtout au début, cette partition est très difficile à chorégraphier, sans accent, ce qui peut donner la vision d’une danse à côté des notes.

Monsieur le Directeur trouve quand même le moyen de nous glisser ses petites touches maisons: les temps levés en attitude, les bras en 3e et 4e ouvertes, de petits ballonnés, etc. La danse devient plus cohérente au fur et à mesure que la pièce avance, mais hormis les moments phares précités, rien de transcendant.

Ce qui m’a aussi énormément gêné le 30 septembre est le manque de mouvement, de danse presque, particulièrement de la part des danseuses. Ces messieurs étaient plus dans leur élément, alors que leurs consœurs donnaient quelque chose de presque scolaire, à contre-courant de l’effet souhaité. Le 1er octobre m’a laissé une impression différente, j’ai senti le groupe plus investi. De ces deux soirées, je retiens quand même particulièrement Léonore Baulac, Marion Barbeau et Letizia Galloni qui à mes yeux sortaient vraiment du lot par une danse élégante et investie. Mais pour l’impression globale, c’est une légère déception, alors que j’avais gardé un agréable souvenir de Daphnis et Chloé il y a deux ans.

Opus 19/The Dreamer de Jerome Robbins :

Comme vous le savez j’attendais beaucoup de ce ballet. C’est une pièce agréable à regarder, avec de belles propositions et une jolie musique de Prokofiev (pour moi qui n’aime pas Prokofiev…). Contrairement à la pièce précédente, je ne réfléchis pas, je me laisse emporter. J’ai comme l’impression de voir Le Jeune Homme et la Mort, mais en version américaine et avec un corps de ballet. Le tout est bien pensé, la chorégraphie de Robbins me plaît, avec de la belle danse masculine (ça fait toujours plaisir) et ces petites incursions de danses de caractère, puis de danse moderne.

Le rôle masculin est bien sûr majeur, et Mathieu Ganio est taillé pour. Elégant, vraiment rêveur, il est sublime…mais il fait du Ganio, sans plus. Mathias Heymann le lendemain m’a beaucoup plus plût, interprétant un rêveur plus torturé, plus dérangé par ses songes. Mais la véritable révélation pour moi, c’est Amandine Albisson. Je retire tout ce que j’ai pu dire ou penser sur son style « scolaire ». Ce ballet est un piège en ce que derrière un danseur faussement central, c’est le rôle de la danseuse qui a toute son importance. Et Amandine Albisson le porte très bien : très femme fatale, sombre, techniquement nickel, c’est vraiment un plaisir de la voir interpréter ce rôle. Le corps de ballet, en revanche, ne brille pas par sa présence, plus décorative qu’autre chose alors que de belles choses peuvent être possibles. Saluons tout de même le retour de Sarah Kora Dayanova, qui s’est à mes yeux détachée du groupe.

Je m’installe donc petit à petit dans l’ambiance, attendant la grande surprise. Et le rideau se ferma. QUOI ? Bah oui, c’est fini. Mon rêve à moi s’effondre. Je m’attendais à un moment dans le ballet de totale folie de la part du rêveur, de totale perversité de la part du premier rôle féminin. Mais non, pas de cauchemar, pas de psychodrame, le ballet finit presque comme il a commencé. Ce qui, clairement, lui enlève tout son intérêt. J’ai l’impression d’avoir assisté à une première partie d’une œuvre plus importante. Grosse déception. Il reste le plaisir de voir deux superbes Etoiles nous proposer une danse recherchée et élégante.

Thèmes et Variations de Georges Balanchine :

Là aussi, grandes étaient mes attentes à l’égard de Valentine Colasante et François Alu. En revanche, je ne suis pas un très grand fan de Balanchine, et était plus sceptique sur le reste. Et bien…j’ai adoré. C’est vraiment de la belle danse classique comme on l’aime, avec la pointe d’innovations du XXe siècle qui va bien. Valentine Colasante fait le job avec un certain panache, mais ma palme personnelle revient à François Alu : il se joue des difficultés techniques, contrairement à ce qui a pu être écrit je trouve qu’il a été un partenaire attentif, le couple fonctionne bien. Couple d’ailleurs enthousiaste, et qui entraîne le corps de ballet avec lui. Il se dégage une impression de jeunesse, de joie de danser et de vivre, qui font plaisir à voir et qui emportent le public. Ce ballet m’a effacé toute mes petites frustrations. Et puis c’est Tchaïkovski. Bref, du kiffe en barre, une injection de classique salutaire.

Aussi j’attendais avec impatience la proposition de Laura Hecquet et Joshua Hoffalt. La première habite plus la pièce que Valentine Colasante, avec plus d’élégance peut-être, mais moins de charme et quelques petites difficultés techniques…Quant à Joshua Hoffalt…ce danseur que j’aime beaucoup me déçoit. Sa danse est très sérieuse, trop sérieuse. Cela donne un ensemble sans passion, fait de sourires crispés. Techniquement son cadet le dépasse clairement, et avec plus d’enthousiasme. De plus le couple avec Laura Hecquet ne fonctionne pas très bien (moments gênants lors des portés qui paraissent laborieux…). Le manque d’investissement de la part de ce binôme se ressent dans le corps de ballet, quasiment identique à la veille, mais comme moins motivé (les garçons étaient cependant beaucoup plus dynamiques et souriants que leurs consoeurs). Le final semble raviver la flamme, mais c’est malheureusement un peu tardif. Reste pour me consoler la merveilleuse manière qu’a Laura Hecquet de présenter sa révérence.

Considérations générales : Dans presque toutes les pièces proposées, j’ai été choqué de voir l’absence d’un certain sens du mouvement, dans des ballets relativement récents à l’échelle de l’histoire de la danse et qui permettent une liberté que les grands classiques n’ont pas toujours. Les bras sont souvent rigides, les sauts mériteraient d’être plus larges, même les mouvements « relâchés » donnent l’impression d’être sous contrôle permanent (bien que sur ce point, le deuxième soir était un peu meilleur que le premier). Les danseuses du corps de ballet spécialement ont à travailler sur la question. C’est à mes yeux un gros problème de la compagnie, sur lequel il va falloir se pencher sous peine de gâcher des chorégraphies qui sont faites pour être véritablement dansées et non exécutées.

Conclusion : Je n’ai pas passé de soirées désagréables. Je reste pourtant sur ma faim…retenons les belles surprises de ces soirées : Letizia Galloni sur une pente ascendante, Marion Barbeau à suivre sérieusement, Léonore Baulac et Hugo Marchand déjà incontournables. Amandine Albisson installée dans son statut d’Etoile, Mathias Heymann onirique, et François Alu toujours aussi brillant. Avec tout ça, vivement La Bayadère !

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Spirou dit :

    Pardon mais quel rapport entre the dreamer et le jeune homme et la mort si ce n’est l’opposition la plus totale ??

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    1. ildanse dit :

      Holalala Spirou, vous rouvrez un vieux dossier et m’obligez à rentrer dans mes souvenirs !
      Sur le style de danse, de chorégraphe, de musique, de costume, de plein de choses: on est d’accords, l’opposition est complète.
      Mon analogie avec le JH, je la tire de cette idée d’un homme seul et mélancolique qui est opposé à une figure féminine forte qui se révèle au fur et à mesure de l’avancée du ballet être une « méchante ». J’ai souvenir de l’avoir perçu comme ça dans la manière dont les pas de la danseuse principale évoluait. Mais il est certains que c’est beaucoup plus marqué chez Petit.

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