Roméo et Juliette par Léonore Baulac et Mathias Heymann- Le debrief

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Par Victor

Distribution surprise, place surprise ! J’avais pris mes places pour Roméo et Juliette il y a longtemps, mais j’ai finalement craqué pour voir cette distribution annoncée la semaine dernière en raison de la blessure de Myriam Ould-Braham. Il revient donc à Léonore Baulac de remplacer l’Etoile, qui était pourtant très attendue dans le rôle. J’ai ainsi profité de ces dates supplémentaires impromptues pour satisfaire ma curiosité et découvrir ce que la Première Danseuse allait faire de sa Juliette.

Malgré les impressions mitigées que j’avais eu la veille, il faut reconnaître qu’il est difficile de succéder à un couple tel que Dorothée Gilbert et Hugo Marchand dans ce ballet…Léonore Baulac et Mathias Heymann s’en sont pourtant bien sortis. Certes le couple fonctionne moins bien, certes l’émotion est moins forte, mais la proposition m’a interloqué. Là où leurs prédécesseurs donnaient dans la passion radicale et dévorante, le couple de Juliette/Baulac et Roméo/Heymann est moins passionné mais plus mignon. Passez-moi l’expression, mais je les ai vraiment trouvé choupinou quoi. Ils respirent la jeunesse et la joie de vivre, et ça, ça a suffit à m’emporter dans leur histoire, petite nature que je suis. Leurs personnages ne provoquent pas le destin, ils se laissent vivre et c’est le destin qui leur tombe dessus, et cette fatalité rajoute au pathos de l’histoire.

Toutefois le partenariat, formé assez tardivement, souffre de quelques lacunes…Déjà Mathias Heymann est une forte personnalité en scène, écrasant quelque peu Léonore Baulac, qui peut heureusement se rattraper dans ses scènes seules. De plus les pas de deux sont parfois laborieux, notamment sur les portés. On a l’étrange impression que l’une fois qu’ils sont passés, hop c’est bon on s’en débarrasse.

Individuellement en revanche, c’est plus qu’intéressant. Léonore Baulac a bossé sa Juliette, ça se sent. L’interprétation est personnelle, à mi-chemin entre la Juliette amoureuse et puérile, et la Juliette déterminée. Elle sait être déchirante, jouer d’un regard hagard et presque dérangé face au couteau, enfin on tient un truc quoi. Elle porte l’acte trois sans aucun problème, sans trop en faire. Je n’ai pas eu d’impression de sur-jeu, enfin bref je ne saurai comment m’étendre plus mais j’ai aimé cette Juliette. J’y ai cru, j’étais triste, et lors de la « petite folie » sur Tybalt mort ou lors de la découverte de la mort de Roméo, j’étais vraiment dedans. Sur le plan de la danse en revanche, j’avais l’impression de sentir Léonore Baulac stressée, tendue lors du premier acte…les tours ont mis un peu de temps à se mettre en place, les fouettés attitudes ne sont pas parfaitement finis…Heureusement la suite se développe mieux. Je ne me lasse pas d’admirer ses superbes arabesques, les sauts sont légers, les bras vaporeux…la danse va dans le sens du mouvement, bref, c’est là la Léonore Baulac que j’aime voir danser.

Mathias Heymann fait aussi une belle proposition en Roméo. Un Roméo simple, sans prétention, jeune et plein de vie, plutôt terrestre…le jeune noble véronnais brillant quoi. Roméo aime Juliette d’un amour sincère, tendre, pas forcément passionnel mais du moins réel et réaliste. Voilà une interprétation qui tranche totalement avec les deux autres que j’ai pu voir et j’ai vraiment bien aimé ! Quoi qu’il en soit, il éclipse tout le monde sur scène, attire les regards vers lui. Les sauts sont vifs, légers, souples, mais la grande qualité que j’admire énormément chez cette Etoile, c’est sa rapidité de rotation dans les tours, qu’ils soient sur le plancher ou en l’air. Il a l’art et la manière d’exécuter ses variations sans effort apparent, de manière très naturelle. Une belle performance !

Le reste de la distribution m’inspire un peu plus de doutes…depuis la première, le duo Fabien Révillion/François Alu en Benvolio et Mercutio semble s’être un peu fatigué. J’ai été moins impressionné par la danse du premier, et le second, quoique sa danse me transporte toujours d’admiration, semblait un peu moins en forme. Ses fameux sauts, qui constituent tout de même une bonne part de sa signature, parraissaient moins explosifs et se finissaient souvent avec des réceptions un peu lourdes…Bon, ne nous mentons pas, je n’ai pas boudé mon plaisir non plus. D’autant que depuis la première, les interprétations ont été revues et travaillées. Le Mercutio de François Alu, en particulier, s’est enrichi de pleins de petits détails: une pause un peu plus longue par-ci, telle expression ou mimique par là, le jeu est beaucoup plus recherché sans perdre pour autant en spontanéité. Nous en reparlerons très prochainement, mais c’était probablement le meilleur Mercutio de cette série.

Le Pâris de Pablo Legasa en revanche me déçoit un tantinet. Il est honnête dans son interprétation, c’est Pâris c’est sûr, mais enfin il ne rajoute pas de relief à un rôle qui n’en a déjà pas beaucoup…de plus, durant toute sa partie dansée à l’acte trois, je l’ai senti très sérieux, presque tendu, alors qu’il n’y avait aucune raison à cela: les tours sont propres, tout est en place, mais cette espèce de tension latente m’a empêché de vraiment apprécier sa danse qui est pourtant très agréable. Dommage…Finissons cet aperçu des seconds rôles avec la Rosaline de Sarah Kora Dayanova. Cette dernière a pour le coup, à mon sens, donné de la valeur ajoutée à sa Rosaline: pimpante, coquette, le jeu s’organise bien avec son Roméo, et elle nous a gratifié de quelques beaux équilibres tenus ma foi fort appréciables.

Malgré ces petites remarques, la représentation m’a beaucoup plu. Je suis ravi d’avoir découvert Léonore Baulac qui fait une belle Juliette, et je le répète: la proposition sincère du couple avec Mathias Heymann m’a_ en dépit d’un partenariat loin d’être parfait_ convaincu et a su créer mon empathie pour leur Roméo et Juliette. Les amants de Vérone se sont fait accessibles, sensibles, et j’ai beaucoup apprécié. Au-delà du mythe, Roméo et Juliette ne sont-ils pas avant tout censé être des êtres de chaire ? C’est cette réalité tangible qui était donnée au public ce mercredi 13 avril.

Photo: Léonore Baulac et Mathias Heymann aux saluts. Merci à La Petite Photographe pour cette belle image ! Retrouvez son travail sur Instagram (@la_petite_photographe) et sur Twitter (@LA_de_M).

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. ahhhh !! je l’attendais avec impatience ce compte rendu !! je vois que nous sommes plutôt d’accord sur notre ressenti même sans avoir vu la même date… la proposition faite est en effet très « terrestre » et l’issue totalement dépourvue d’intentions psychologiques inconscientes comme dans la version plus « intellectuelle » (à défaut de dire spirituelle ou mystique) du couple Ganio/Albisson
    Je suis surpris de Pablo Legasa qui sur ma date était vraiment un Paris qui sortait de l’effet tapisserie trop souvent constaté (même s’il peut s’agir de joli tapisserie genre made in Les Gobelins)
    le Vicomte vous salue 😉

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