L’avant-première jeune de Giselle- Le debrief

C’est un public jeune qui a eu la primeur du retour de Giselle à Garnier lors de cette avant-première (ou répétition générale, cela dépend du point de vue). Un public jeune parfois indiscipliné: j’en veux pour preuves les téléphones portables dont les bruits et flash ont agrémenté le spectacle, les commentaires plus ou moins pertinents…ainsi qu’une grande léthargie durant tout le ballet ! Bon Dieu, ce qu’un public jeune peut être amorphe ! Sans vouloir me vanter, j’ai eu l’impression d’être le chauffeur de salle durant ces deux heures…Soit le public ne savait pas quand applaudir, soit les nombreux amateurs d’opéra présents dans la salle répugnent à se manifester entre les morceaux, soit ils étaient trop pris dans l’histoire pour vouloir revenir dans la réalité.

Il y avait pourtant matière à applaudir à mon sens, bien que tout n’ait pas été parfait, loin s’en faut. Amandine Albisson, qui dansait pour la première fois le rôle à l’Opéra de Paris, s’élance avec beaucoup d’énergie hors de sa chaumière : des ballonnés hauts, une bonne humeur communicative, comme toujours l’Etoile marque le personnage de sa patte dès les premiers instants. Dans son jeu amoureux avec Albrecht, elle ne prend pas le parti de la pauvre petite paysanne naïve et béatement amoureuse. Au contraire, sa Giselle semble savoir parfaitement ce qu’elle fait avec Albrecht: elle l’aguiche, le drague même. Lorsqu’elle refuse un baiser, ce n’est pas par pudibonderie, mais plutôt sur le ton de « pas tout de suite, grand fou, attend encore un peu… ». A ses côtés, Stéphane Bullion semble peiner à cerner son personnage: amoureux, pas amoureux ? Il me donne l’impression d’être l’un à un moment puis l’autre l’instant d’après. L’interprétation m’apparaît manquer de réflexion, et le danseur choisir la solution de la facilité plutôt que de donner une véritable cohérence à son rôle. La tornade Albisson rattrape cependant le tout en nous offrant notamment une superbe variation : des tours attitudes comme j’en ai rarement vu, tenus sur la fin, de longs équilibres, une jolie diagonale de ballonés sur pointe. La danseuse prend plaisir à danser le rôle, comme elle me le confiera à la sortie des artistes, et cela se sent. Si j’avais une critique, c’est qu’elle pêche parfois par trop d’enthousiasme: un léger sur-jeu peut poindre par instants. La scène de la folie, assez violente et réaliste, m’a personnellement convaincu. Audric Bezard, en amoureux jaloux, est remarquable dans son interprétation: sincère, très humain, il attire vraiment l’empathie pour Hilarion envers lequel je n’en ai généralement que peu. 

Las, le reste est bien inégal. La direction musicale de Koen Kessels est, au premier acte, à se pendre: c’est lent, mais c’est lent…toute la fraîcheur, la légèreté de ces danses paysannes enjouées s’en trouve réduite à néant, et le corps de ballet est souvent bien mou, et parfois hors de la musique. Ce tempo difficile explique peut-être les mines fermées des danseuses: heureusement que Charline Giezendanner est là pour rebooster un peu tout ça. Le pas de deux des Paysans se révèle un moment compliqué: Sylvia Saint-Martin nous arrive tendue comme une crampe, peu souriante, ce qui ne doit pas aider à déstresser son partenaire, Germain Louvet. Le porté du pas de deux nous fait des frayeurs: probablement mal engagé, Germain Louvet arrive cependant à rattraper le coup et à ne pas faire tomber sa partenaire. Sa première variation semble laborieuse: les grandes jambes du Sujet galèrent un peu sur les brisés de volée, le petit manège semble s’achever dans la douleur, les tours en l’airs ne sont pas toujours nets. La deuxième variation, heureusement, permet à Germain Louvet de redresser la barre et de nous montrer ses belles qualités. Quant à sa partenaire, elle a subi ses variations plus qu’elle ne les a dansé. Je mettrai à son crédit quelques jolis équilibres seconde à la deuxième variation, mais sinon c’était presque pénible à voir.

Le deuxième acte est tout aussi inégal. La Giselle-Wili d’Amandine Albisson m’a également conquis: pas très fantomatique, c’est un esprit encore plein des douleurs du monde qui nous est donné à voir, une Giselle de souffrance, humaine, et pleine de tristesse sur son sort et celui d’Albrecht. De jolis entrechats, des sauts élevés, de beaux développés souples et des penchés arabesques appuyés magnifient l’ensemble. L’alchimie avec Stéphane Bullion-Albrecht n’est toutefois pas au rendez-vous… Hannah O’Neill tient la dragée haute à Amandine Albisson en Myrtha froide, habitée, d’une élégance admirable. Elle déploie des bras beaux et autoritaires, de belles arabesques, semble voler durant ses grands jetés, et installe une ambiance comme personne. L’une esprit torturée et encore humaine, l’autre froide reine fantômatique privée de toute émotion: le duo est intéressant !

Il l’est finalement plus que celui avec Stéphane Bullion. Si les qualités de partenaire du danseur Etoile s’expriment très bien dans le pas de deux, il ne clarifie pas son jeu et n’habite pas parfaitement son personnage. Il est fort dommage que l’Etoile, plutôt que de proposer un Albrecht différent et à sa façon, ait essayé de coller aux standards du rôle: il en résulte un prince mollasson et peu convaincant. Son entrée en scène manque de distinction et d’élégance, et les cabrioles arabesques me déçoivent un peu. Les fameux entrechats-six sont éludés pour une diagonale de doubles sauts-de-basque. Celle-ci est cependant bien exécutée, rapide avec un beau ballon, et Stéphane Bullion sait utiliser tout l’espace, voyager dans ses diagonales, ce qui est une grande qualité très agréable à regarder. Mais autant son Albrecht est résigné, autant Audric Bezard propose un Hilarion fantastique: comme une bête sauvage pourchassée par les Wilis, c’est avec l’énergie du désespoir et de la terreur qu’il danse, proposant notamment de superbes sissones croisées à la hauteur remarquable.

Le corps de ballet des Wilis est élégant et agréable à voir, mais là encore l’enthousiasme et la conviction semblent absents. Les deux Wilis, Marie-Solène Boulet et Sabrina Mallem, dansent cependant leurs variations respectives avec assurance et efficacité.

La soirée se conclut tout de même par des applaudissements mérités pour nos deux Etoiles, ainsi que pour Hannah O’Neill et Audric Bezard que le public a, à raison, particulièrement apprécié. Le chef d’orchestre, en revanche, récolte des huées qui, si par principe je ne m’y joins pas, sont néanmoins méritées: l’orchestre a intérêt à se mettre au diapason rapidement, et, si possible, à accélérer quelque peu le rythme d’un premier acte qui en perd sa spécificité.

Malgré ces contrariétés, je n’ai pas non plus boudé mon plaisir: voir Giselle est toujours un moment particulier, et j’ai hâte pour mes prochaines soirées !

Photo: de gauche à droite, Sabrina Mallem, Audric Bezard, Amandine Albisson, Stéphane Bullion, Hannah O’Neill et Marie-Solène Boulet aux saluts. Tous droits réservés Il danse et il en parle.

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