Giselle par Eléonore Guérineau et Arthus Raveau- Le Debrief

S’il y a bien une représentation de Giselle qui ne devait souffrir aucune surprise de dernière minute cette année, c’était bien celle-ci. La date avait été guettée avec soin par les spectateurs avertis, et pour cause: non seulement Eléonore Guérineau, Héloïse Bourdon et Arthus Raveau y faisaient leurs prises de rôles dans ce ballet, mais pour le couple principal c’était la seule occasion de danser pour cette série.

Heureusement, tout était en ordre: nulle blessure à l’horizon, nul contretemps. Et c’est une bien jolie représentation qui nous a été donnée en ce dimanche après-midi.

Eléonore Guérineau a réalisé une belle prise de rôle. Aucun stress perceptible, son énergie habituelle présente dès les premiers pas: elle a su conquérir le public. Sa Giselle est naturelle, enjouée, vive, très amoureuse. Un brin trop peut-être depuis mon point de vue: les sourires à son Albrecht ne sont pas économisés, le moment où Giselle défaille quelque peu du fait de son coeur malade m’a semblé en sur-jeu. Il reste que malgré ces détails que des représentations ultérieures auraient certainement gommé, elle se glisse dans son personnage avec une grande facilité. Cela est également perceptible dans sa manière de danser: Eléonore Guérineau a déjà mis sa patte dans la chorégraphie qui supporte facilement les accommodements de chaque titulaire du rôle. Ainsi là où d’autres utilisent de hauts battements en seconde, elle fait le choix de l’attitude quatrième, certainement plus fidèle aux origines du ballet. Elle glisse une petite cabriole arabesque pour aller se placer à son manège, saute haut dans les raccourcis qui suivent les arabesques penchés de la variation. Variation bien exécutée au demeurant. Tout était réuni, mais contrairement à mes attentes sa Giselle du premier acte ne m’a pas transporté outre mesure. Arthus Raveau, à ses côtés, danse peu, comme tous les Albrecht lors de cet acte, mais me convainc par son interprétation. Il ne se glisse pas dans la peau du macho, ce qui ne lui irait pas: il est plutôt un jeune noble bien élevé, mais très sûr de lui et sûr de ses droits, qui va tranquillement exercer son droit de cuissage mais qui regarde les danses paysannes de sa proie avec un certain dédain. La scène de la folie vient comme toujours briser ce dangereux badinage: Eléonore Guérineau s’y révèle très fortement: finis, les mièvreries et les larges sourires, sa folie emporte et persuade. Le monde du petit Albrecht pourri-gâté s’effondre, c’est la surprise et le choc qui le gagnent.

Le Pas des Paysans fût interprété par Sophie Mayoux et Paul Marque: là encore deux prises de rôles, deux belles réussites. Le talent de Paul Marque n’est plus une nouvelle, ses deux variations sont bien dansées mais cependant encore un peu vertes à mon goût. Le trac devait probablement y être pour quelque chose, l’ayant déjà vu plus détendu ! Un peu plus de sérénité sur le visage, plus de décontraction, et tous les ingrédients sont là pour nous faire un paysans joyeux, taquin, et bondissant ! L’adage est encore un peu scolaire peut-être, mais il accompagne sa partenaire avec assurance et professionnalisme, celle-ci a pu compter sur lui. « Celle-ci », c’est Sophie Mayoux, la très jolie surprise de la représentation. Une danse pas forcément pyrotechnique, mais sûre, appliquée, précise. Parfois un peu de raideur dans les ports de bras (notamment sur les arabesques), mais c’est oublié par la manière dont elle gagne la salle. Aucun stress apparent, un sourire radieux tout le long de son passage, la sensation d’une calme maîtrise: tout cela fait qu’on la regarde danser avec ravissement une variation cent fois vues, et que j’ai hâte de la revoir en soliste !

Un premier acte agréable donc, un début de soirée réussi, mais pas encore assez pour me transporter parfaitement d’aise. Le deuxième acte renverse la balance. Héloïse Bourdon dévoile un visage qu’on ne lui connaissait pas: une Myrtha autoritaire, sévère, rude presque, mais toujours altière. Et toujours une très belle danse, bien entendu: des piétinés sur pointes fins, de beaux sauts et tours, mais des équilibres un peu rapides peut-être. Toujours est-il qu’elle réussit à merveille le challenge de Myrtha: au-delà de la démonstration technique, il s’agit d‘installer l’ambiance, de basculer le spectateur dans la forêt des Wilis, de poser les bases des émotions à venir. Pour être honnête, je n’attendais pas grand chose de la Giselle morte d’Eléonore Guérineau. Je peinais quelque peu à l’imaginer dans cette tonalité, elle s’y est révélée surprenante. Beaucoup de douceur dans cette Giselle, pas forcément de l’amour envers Albrecht, mais de la douceur, de la compassion, comme un esprit apaisant au milieu des Wilis: Eléonore Guérineau est le phare d’un Albrecht complètement à la dérive, et c’est cette image que je retiens de la soirée. 

Arthus Raveau-Albrecht, justement, n’est pas en reste. Son personnage a beaucoup de cohérence: enfant quelque peu gâté au premier acte, on retrouve cette coloration avec un Albrecht qui ne comprend rien à ce qui lui arrive, qui mêle en lui douleur, remord, et envie d’en finir. Sa danse n’est pas toujours parfaite, loin s’en faut. Mais il incarne le personnage, il le danse réellement: son Albrecht n’est pas une démonstration technique, exécutée pour impressionner le spectateur. L’interprétation reste en place jusque dans les moments les plus difficiles de la variation, des bras vaporeux racontent une histoire, l’épuisement n’est absolument pas surjoué. Quand soudain, surgie de nul part: LA série de 32 entrechats-six, très bien exécutée. Un très bel Albrecht nous a été donné à voir: pas le meilleur techniquement, mais un vrai Albrecht, auquel on croit. 

La scène finale ne m’a jamais vraiment marqué: le couple me l’a fait redécouvrir. Beaucoup de tendresse, beaucoup d’investissement dans les personnages, un vrai moment d’émotion dans ce passage que j’avais tendance à voir comme la simple conclusion du ballet. Et Arthus Raveau conclut magnifiquement, laissant tomber un à un les lys qu’il porte, le visage encore plein de la souffrance et de la passion laissés par la nuit. 

Durant ce deuxième acte, j’ai oublié que j’étais venu voir trois prises de rôles. Malgré les petites imperfections, j’ai vu Giselle, Albrecht et Myrtha, j’ai vu une véritable histoire. A la sortie de l’Opéra, l’impression que l’on recherche tous: celle d’avoir vécu un moment d’exception, d’avoir été le témoin de quelque chose d’unique. 

Photo: Eléonore Guérineau (Giselle) et Arthus Raveau (Albrecht) aux saluts. Crédits La Petite Photographe. Retrouvez son travail sur Instagram etTwitter

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. angel dit :

    Excellente représentation de Giselle dimanche dernier, pour moi la plus poignante. Des interprètes vraiment investis et plus que crédibles, ayant l’age des personnages et dansants avec leurs tripes et un supplément d’ âme qui faisait nettement la différence avec certaines distributions étoilées. Mademoiselle Bourdon nous a offert une composition magistrale dans le rôle difficile de Myrtha. Elle était véritablement splendide et très impressionnante tant techniquement que par son interprétation intelligente et subtile de la reine des Willis, à la fois forte, souveraine et protectrice. C’est extraordinaire ce que cette danseuse peut offrir comme facettes différentes de sa personnalité lorsqu’elle empoigne un rôle. Cette belle danseuse possède un talent rare qui la situe au rang des plus grandes. Son grade dans la Compagnie reste en revanche un mystère que la nouvelle direction se devrait de résoudre rapidement si elle ne veut pas s’éterniser dans le ridicule et l’aberration d’une situation incompréhensible. J’ai été également totalement conquise par l’implication de Mademoiselle Guérineau dans le rôle tire. Quel souvenir inoubliable que sa scène de la folie, ciselée, précise, musicale et déchirante. Sa technique est irréprochable et sa pantomime toujours juste et généreuse. Elle est Giselle. Son jeu est très travaillé et sincère. Elle a su être la fois cette petite paysanne fraîche et amoureuse, comme ce spectre vaporeux et vibrant de poésie. Un tourbillon de tulle ethéré dont le souvenir a marqué les esprits . Elle aussi, il serait temps de réaliser que son talent est nettement sous employé. Quant au romantisme de Monsieur Raveau, il atteint des sommets . Tout en sa fibre intime respire les digressions amoureuses de ce jeune prince perdu et désespéré. Son solo du deuxième acte et ses entrechats six terminés en supplique fébrile restent inoubliables. En résumé, un trio mémorable acclamé par un public très ému et extrêmement conquis, presque comme envouté par l’histoire que ces jeunes et brillants danseurs lui ont fait partager. C’était un grand moment de cette saison à l’ONP.

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  2. Janis dit :

    J’adhère totalement à votre retour sur images de dimanche dernier.
    A ce trio enchanteur et fusionnel que formait
    Eléonore Guérineau (légère , aérienne, impalpable et vaporeuse qui a su maîtriser le défi de l’iréel)
    Arthus Raveau (unique et inégalé dans sa danse désespérée avec Giselle)
    Héloïse Bourdon (sublissime choc visuel, irrésistiblement hypnotique incarnant une Myrtha inégalable avec une classe à couper le souffle)
    j’ajouterai
    Alexis Renaud (fougueux et viril Hilarion totalement investi jusqu’au désespoir, victime inspirée de la folle danse des Willis )
    pour dire que c’est un quatuor de talents qui a su émouvoir le public avec une immense générosité et une véritable interaction entre les personnages animés par une sensibilité à fleur de peau.
    Là se situe la particularité de cette représentation qui l’a rendu exceptionnelle.

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